Arenicola marina : un ver marin pas très joli qui peut vous sauver la vie

L’Arenicola marina est un ver annélide polychète* que l’on retrouve sur toute la côte ouest française, notamment en baie de Somme, dans les zones sableuses intertidales (entre marée haute et marée basse). Son nom vient du latin arena (sable) et colere (habiter), tandis que marina, dérivé de mare (mer), souligne son environnement marin.

* Vers à corps segmenté, chaque segment (métamère) possède des expansions appelées parapodes sur lesquelles se trouvent de nombreuses soies (qui pour certaines espèces ressemblent à des petites pattes). On recense environ 500 espèces dans la Manche.

Ce ver, mesurant entre 10 et 25 cm, se compose de deux parties principales :

  • Une partie antérieure de 19 segments épais, subdivisés en cinq anneaux, portant des soies latérales. Treize de ces segments sont pourvus de branchies spécialisées. À l’avant, son prostomium (tête) se prolonge par une trompe dévaginable dotée d’une bouche, mais dépourvue d’yeux et d’appendices.
  • Une partie postérieure, plus étroite, souvent appelée « queue », composée d’un nombre variable de segments.
Schéma de l'anatomie d'une arénicole

Sa présence est trahie par ses « tortillons » caractéristiques, appelés fécès – amas de sédiments expulsés – et par les entonnoirs qu’il forme en creusant. Grâce à sa trompe, il filtre le sable en creusant des galeries en forme de U, se nourrissant ainsi de micro-organismes (bactéries, algues, plancton…). On dit qu’il est microphage.

Au sein de l’écosystème*, Arenicola marina joue un rôle clé : il sert de proie à de nombreux poissons, crabes et oiseaux limicoles comme le Courlis cendré (Numenius arquata). Il est également prisé des pêcheurs comme appât.

* Ensemble d’êtres vivants qui vivent au sein d’un milieu ou d’un environnement spécifique et interagissent entre eux au sein de ce milieu et avec ce milieu.

Mais ce ver recèle un autre secret : son sang pourrait bien révolutionner la médecine…

L’hémoglobine de l’arénicole : une révolution

Trouver un substitut sanguin : une urgence médicale

Depuis les premières transfusions sanguines dans les années 1940, les progrès médicaux ont sauvé des millions de vies. Aujourd’hui, chaque année, un million de patients bénéficient de dons de sang. Chaque jour, 10 000 dons sont nécessaires pour faire face aux urgences, aux maladies chroniques et à la production de médicaments.

Cependant, le nombre de donneurs est en baisse : on comptait 4,2 millions de donneurs dans les années 1980, contre 2,6 millions en 2023. Pourtant, on connaît une importante croissance démographique. Dans ce contexte, la recherche d’un substitut sanguin efficace est devenue une priorité.

L’hémoglo-quoi ?

Le sang humain est composé de quatre éléments : 

  • Les globules rouges, qui transportent l’oxygène.
  • Les globules blancs, qui assurent la défense immunitaire.
  • Les plaquettes, qui favorisent la coagulation.
  • Le plasma, qui véhicule ces cellules.

Nos globules rouges contiennent jusqu’à 280 millions de molécules d’hémoglobine. Cette protéine, composée de quatre globines, comporte chacune un atome de fer capable de fixer une molécule d’oxygène, assurant ainsi l’oxygénation de notre organisme, indispensable au fonctionnement de notre organisme.

Hémoglobine humaine - Elisa Basuyaux
Copyright © Basuyaux Elisa

Le sang d’un ver marin… meilleur que le nôtre ?

Si l’hémoglobine humaine (Hb) peut transporter 4 molécules d’oxygène, celle de l’arénicole (AmHb) en transporte 156 !

Hémoglobine arénicole - Elisa Basuyaux
Copyright © Basuyaux Elisa

L’AmHb présente également des avantages exceptionnels :

  • Une durée de vie supérieure : 50 heures contre quelques secondes pour l’Hb humaine.
  • Une meilleure résistance thermique : elle reste stable entre 4 et 37 °C, contre seulement 37 °C pour l’Hb humaine.
  • Une universalité unique : contrairement à l’Hb, l’AmHb est extra-cellulaire (non enfermée dans un globule rouge), et non glycosée, ce qui signifie qu’elle ne déclenche aucune réaction immunitaire.

Autrement dit, elle est 40 fois plus efficace, 250 fois plus petite qu’un globule rouge humain et capable d’améliorer l’oxygénation des tissus. Chez l’arénicole, cette hémoglobine lui permet de rester jusqu’à six heures en apnée à marée basse !

L’AmHb au service de la médecine

Une découverte signée par un chercheur français

Les propriétés exceptionnelles de l’AmHb ont été mises en évidence par Frank Zal, ancien chercheur au CNRS et fondateur de l’entreprise Hemarina en 2007. Cette entreprise biopharmaceutique développe des solutions médicales basées sur l’AmHb. 

Plutôt que de prélever les vers dans leur milieu naturel, Hemarina les élève dans une ferme aquacole à Noirmoutier, avec une production annuelle de 30 tonnes.

Une hémoglobine déjà utilisée en médecine !

L’entreprise a mis au point HEMO2life®, un additif pour les solutions de préservation des organes destinés à la transplantation. Son utilisation améliore la conservation des greffons et réduit le risque de rejet. Par exemple, les poumons hors d’un corps survivent entre 4 à 6 heures. Grâce à l’AmHb, on peut monter jusqu’à 48 heures, facilitant drastiquement les interventions médicales.

Pendant la pandémie de Covid-19, des recherches ont été menées pour utiliser HEMO2life® chez les patients souffrant d’hypoxie (baisse de l’oxygène dans le sang), mais les tests n’ont pas été concluants.

Des applications prometteuses

La recherche sur l’AmHb ne s’arrête pas là ! D’autres produits sont en train d’être développés par Hémarina :

  • HEMHealing® : un hydrogel oxygénant favorisant la cicatrisation des plaies. Conditionné en seringue prête à l’emploi, il s’applique directement sur la plaie avec un pansement non occlusif.
  • HEMDental-Care® : un hydrogel destiné à combattre les bactéries responsables des maladies parodontales, limitant notamment le déchaussement des dents.

Un (ver)itable super-héros… mais aussi un super-vilain ?

Si l’Arenicola marina est un allié médical inattendu, il a aussi une part d’ombre…

En filtrant le sable, ce ver contribue à l’enfouissement des microplastiques dans les sédiments marins. Si cela réduit leur présence en surface et limite leur dispersion, cela entraîne également une accumulation à long terme, menaçant la faune benthique et perturbant la chaîne alimentaire. 

Enfin, son hémoglobine ultra-efficace n’a pas échappé aux sportifs, qui l’ont détournée comme dopant puissant… mais ça, c’est une autre histoire !

Arénicole en aquarelle - Elisa Basuyaux

Focus : Le métier de verrotière 

Métier qui a peu à peu disparu, la pêche aux vers de vase était autrefois essentiellement pratiquée par des femmes. Si elles ne prenaient jamais la mer aux côtés de leurs époux pêcheurs, il leur fallait néanmoins contribuer aux revenus du foyer.

Aujourd’hui, l’équipement moderne – cuissards et vêtements chauds – offre des conditions de travail plus confortables. Mais autrefois, cette activité se déroulait dans des conditions bien plus rudes, comme en témoignent certaines peintures du XIXe siècle illustrant la dureté de la pêche à pied pratiquée par ces femmes.

Bien que moins nombreuses, les verrotières sont encore présentes en Baie de Somme, principalement entre le printemps et l’automne. On croise aussi parfois des verrotiers, certains pêcheurs à pied s’étant mis à récolter ces vers destinés à la pêche de loisir. Outre notre célèbre arénicole, on trouve également sur l’estran la néréïs (Hediste diversicolor), un autre ver de vase apprécié des pêcheurs.

BASUYAUX Elisa

Références bibliographiques

[1] Campbell A.C., Nicholls J., “Guide de la Faune et de la Flore littorales des mers d’Europe”. fr. In : Les guides du naturaliste (1986), p. 322.​

[2] Müller Y., “Faune et Flore du Littoral du Nord, du Pas-de-Calais et de la Belgique”. fr. In : Inventaire Commission Biologie Nord Pas-de-Calais (2004), p. 308.​

[3] Foveau A. “Evaluation des gisements exploitables d’Arenicola marina dans les estuaires picards (Canche, Authie et Somme)”. fr. Rapport du GEMEL 13-030 (dec. 2013)​

[4] Rousselot M. et al. “Arenicola marina extracellular hemoglobin: a new promising blood substitute”. en. In : Biotechnology Journal 1.3 (mars 2006), p. 333-345, ISSN : 1860-6768, DOI : 10.1002/biot.200500049​

[5] Batool F. et al. “Therapeutic Potential of Hemoglobin Derived from the Marine Worm Arenicola marina (M101): A Literature Review of a Breakthrough Innovation”. en. In : Marine Drugs 19.7 (juin 2021), p. 376, ISSN : 1660-3397, DOI : 10.3390/md19070376​

[6] Hemarina – https://www.hemarina.com/ – (oct. 2024)​

[7] Lupon E. et al. “Combating hypoxemia in COVID-19 patients with a natural oxygen carrier, HEMO2Life® (M101)”. en. In : Medical Hypotheses 146 (janv. 2021), ISSN : 1532-2777, DOI : 10.1016/j.mehy.2020.110421​

[8] Gebhardt C., Forster S., “Size-selective feeding of Arenicola marina promotes long-term burial of microplastic particles in marine sediments”. en. In : Environmental pollution 242.pt B, (nov. 2018), ISSN : 1873-6424, DOI : 10.1016/j.envpol.2018.07.090​

[9] Awan T.O. et al. “Use of HEMHealing, an Oxygenating Dressing in the Treatment of a Full-thickness Burn on the Fingertips”. en. In : Plastic and Reconstructive Surgery – Global Open 12.8 (août 2024), DOI : 10.1097/GOX.0000000000006093​

[10] Batool F. et al. “M101, a therapeutic oxygen carrier derived from Arenicola marina, decreased Porphyromonas gingivalis-induced hypoxia and improved periodontal healing”. en. In : Journal of periodontology 93.11 (nov 2022), ISSN : 1943-3670, DOI : 10.1002/JPER.22-0006​

[11] “Baie de Somme : groupe de verrotières,” L’Armarium, consulté le 22 février 2025, https://www.armarium-hautsdefrance.fr/document/20288.

Doris : https://doris.ffessm.fr/Especes/Arenicola-marina-Arenicole-des-pecheurs-577

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